Période de 750 à 900, l'amorce d'un réchauffement global
A partir de 750, mais plus franchement après l'an 800, la tendance est au réchauffement global et l'on remarque un retrait progressif des glaciers alpins ; des oscillations intermédiaires tantôt plus douces, tantôt plus fraîches, existent comme toujours dans ce genre de processus long, avec de nombreuses variations, qui va perdurer jusque dans les années 1215 / 1230, soit sur une durée d'environ 5 siècles. Des séries d'années à hivers froids sévères vont alterner avec des séries d'années à hivers doux caractérisés par un temps pluvieux et venteux; c'est avec des siècles de recul que nous pouvons apprécier les modifications climatiques qui ne semblent pas aller , surtout au début du réchauffement, vers un véritable changement de notre climat.
La période commence par une série d'années à hivers très froids de 760 à 770 :
Dès le 1er octobre 761 les gelées sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus fortes, c'est le début d'un hiver rigoureux et très long qui va durer 4 mois « non-stop », jusqu'au redoux du mois de février 762. Même scénario en octobre 763 avec un hiver qui sera marqué par des mois de janvier et février 764 bien enneigés, les chutes de neige abondantes et fréquentes tombent d'ailleurs sur tout l'Europe de l'Ouest et les quantités de neige au sol sont importantes. Idem en octobre 764 qui amorce un hiver 765 très rude même s'il n'est pas aussi neigeux que l'hiver précédent. Enfin, le dernier hiver de la série est celui de 768 qui se montre également très froid. On est donc loin, dans ce contexte, de réaliser que nous sommes au début d'un réchauffement climatique, pourtant les glaciers régressent déjà, signe de précipitations moyennes annuelles moins importantes et de températures moyennes en hausse, probablement suite à des étés chauds et secs.
De 770 à l'an 800 le climat devient plus agréable :
Dès 770 les hivers ne font plus parler d'eux, ils semblent être restés dans les normes, voire avoir été assez cléments. En 775 sous le règne du jeune Charlemagne, l'Alsace est réputée pour l'importance et la qualité de ses exportations vers l'Europe du Nord, notamment du blé et des céréales, du vin et du bois ; l'Alsace semble profiter de conditions météorologiques favorables. Par ailleurs, pour l'année 780 on signale un temps dans l'ensemble doux mais pluvieux avec des inondations dans notre région. Seule exception isolée dans cette série d'années clémentes, l'hiver 791 qui est cité comme ayant été spécialement rude. A partir de l'an 800 le réchauffement du climat s'accélère car on observe une régression plus nette des glaciers alpins dans cette période et ce, jusqu'à l'an 1000 environ.
Alternance d'hivers froids et d'hivers doux entre 800 et 814 :
Le 9e siècle commence par un hiver 801 très doux : cette année-là est resté dans les annales car notre région a été marquée par une épidémie de peste, peut-être favorisée par la prolifération des rongeurs dont la population n'a pas été régulée par les rigueurs de l'hiver. Mais en 802 les hivers froids et longs réapparaissent : le 11 novembre de cette année une première vague de froid s'abat sur notre région et l'hiver va se tirer en longueur, jusqu'au 12 mars 803. Au contraire l'hiver 808 est réputé pour sa douceur mais également pour les quantités de pluies tombées : les inondations sont fréquentes , noient les semailles et perturbent les récoltes. En 809 c'est au mois de décembre que les inondations font des dégâts en anéantissant les semailles avec pour résultat : de maigres récoltes en 810.
Nouveau changement en 811 avec un hiver rude et long qui ne s'achève qu'à la fin du mois de mars. L'hiver 814, même s'il est moins froid et surtout moins long, reste tout de même assez exceptionnel pour les quantités de neige tombées.
L'humidité s'installe plus durablement de 815 à 820 :
En effet, ce sont les crues du Rhin qui commencent cette série en 815 : elles ravagent une partie de la plaine d'Alsace, tant la pluviométrie est élevée ; le phénomène de pluies omniprésentes continue en 817, année qui connaît aussi de nombreuses inondations. En 820 il pleut tellement que les semailles pourrissent dans le sol mais également les fruits qui se gâtent sur les arbres. Ces intempéries maintiennent la population dans une gestion difficile des ressources alimentaires tant pour elle que pour le bétail qui souffre du manque de fourrage.
Retour des hivers froids de 820 à 830 :
Durant l'hiver 821 un coup de froid violent provoque l'embâcle subit de tous les cours d'eau de la région ; le Rhin reste pris par les glaces durant 30 jours et l'on peut faire traverser le fleuve sans risques à des chariots lourdement chargés. L'hiver 822 est également très froid avec le gel total des rivières mais le dégel est si brutal qu'il occasionne une débâcle qui génère de multiples inondations; un grand nombre de cultures et de fermes à proximité de l'eau se retrouvent noyées sous des eaux froides qui détruisent les semailles. En outre, l'année 822 connaît de fortes pluies continuelles qui endommagent les récoltes.
Enfin l'hiver 824 est si froid que l'on dénombre beaucoup de décès dus tant aux températures extrêmes qu'aux épidémies qui s'acharnent sur une population affaiblie par les rigueurs de l'hiver et par les privations et la malnutrition. Après une accalmie toute relative entre 825 et 829, l'hiver est de nouveau très rude en 830.
Retour des crues à répétitions de 830 à 845 :
Si les crues sont fréquentes de 831 à 834, avec des conséquences négatives sur les productions agricoles, c'est l'hiver 838 qui est cité pour avoir été spécialement pluvieux et venteux; pour couronner le tout, des orages parfois violents éclatent fréquemment dans notre région dès le mois de janvier jusqu'en mars, période où ce genre de phénomène ne se produit qu'exceptionnellement ! Si l'hiver 842 est presque dans les normes, il est tout de même marqué par quelques inondations ponctuelles et plus locales. Changement de ton en 843 : un hiver froid et long endommage les cultures ! Il en résulte des récoltes qui sont mauvaises et des épizooties qui malmènent le bétail mal nourri avec le peu de fourrage disponible ; on est obligé d'abattre des bêtes faute de pouvoir les nourrir. Pour clôturer cette période humide, citons l'hiver 844 qui est resté doux, avec des quantité de pluies abondantes jusqu'en février.
Généralisation des hivers froids de 845 à 865 :
Dans ce processus de lent réchauffement climatique, il est étonnant d'avoir des séries d'hivers terribles qui n'ont pas réussi vraiment à temporiser la hausse générale des températures moyennes; ils ont été probablement contrebalancés par des printemps et des étés bien chauds, mais nous n'avons guère de renseignements précis sur ces saisons ; cela reste une hypothèse plausible.
Dès 845 les hivers longs et froids sont de retour, celui de 845 est très rigoureux, de même en 846 où le vent du nord souffle presque continuellement jusqu'en mai, maintenant notre région dans un froid continuel durant l'hiver. Le résultat ne se fait pas attendre : à cause des gelées tardives les moissons et les vendanges 846 sont désastreuses !
L'hiver est de nouveau rude en 849 avec un optimum le 6 janvier, jour le plus froid de la saison. L'hiver 856 est également connu pour son caractère rigoureux; cet hiver est également très sec avec peu de neige, ce qui ne préserve pas les cultures; des épidémies s'ajoutent encore aux mauvaises récoltes, ce qui n'arrange pas la santé publique.
En novembre 859 débute un nouvel hiver long et rigoureux : l'hiver 860 est si dur que les rivières sont prises par les glaces et la couche de neige devient importante; malgré cela les semences et les vignes sont endommagées et l'année 860 est marquée par la famine . Le dernier hiver rigoureux de la série est celui de l'année 864.
Retour à une période plus humide de 865 à 870:
Février et mars 866 connaissent des inondations à répétition, de même l'année 868 où les pluies sont continuelles et provoquent leurs lots de crues et d'inondations plus ou moins longues et étendues. L'année la plus terrible, la plus catastrophique, c'est 869 : après une succession de mauvaises récoltes (depuis 866) la population de notre région souffre cruellement de la faim et de nouvelles épidémies la décime; le fléau de la peste, qui ravage presque tout l'Europe, n'épargne pas non plus notre région, personne n'est à l'abri de cette maladie, mêmes les mieux nourris, y compris les têtes couronnées: ainsi, le roi de Lotharingie ( ancien nom de la Lorraine ), Lothaire II, est contaminé, agonise et s'éteint dans d'atroces souffrances.
Nouvelle série d'hivers froids de 870 à 885 :
En 873 l'hiver est cité comme étant très froid même s'il a commencé par un épisode plutôt doux; le reste de l'année restera marqué par la sècheresse, longue et dévastatrice, du printemps à l'automne, avec une période de canicule dont on sait qu'elle a entraîné une famine généralisée qui concerne alors toute l'Europe, aggravée par des invasions de sauterelles qui se jettent sur les cultures brûlées par le soleil dans plusieurs contrées de notre pays. Ce coup de chaud est suvi par un nouvel hiver froid et neigeux en 874. Dès septembre 874 les gelées reprennent, elles sont les prémices de nouvelles rigueurs hivernales puisque l'hiver 875 est rude, surtout en février où le Rhin reste longtemps gelé, et dure jusqu'à la fin mars. Les résultas ne se font pas attendre : les récoltes sont mauvaises, une nouvelle famine se déclare et des épidémies frappent la population fragilisée, ce qui provoque une très forte mortalité dans notre région.
En 878 une terrible épidémie de rage, pas directement liée aux conditions climatiques il est vrai, touche les canidés ; des loups rendus fous furieux par la maladie s'attaquent aux hommes qu'ils évitent d'habitude, semant ainsi la mort inexorable parmi ceux qui ont été mordus. Pas d'amélioration de la météo en 880 où les récoltes sont de nouveau très pauvres. Pour finir avec cette période, l'hiver 881 est long et froid avec les rivières prises par les glaces : il est suivi de mauvaises récoltes et d'une nouvelle disette.
Période humide de 885 à l'an 900 :
De grandes crues du Rhin dévastent la plaine d'Alsace en 886; les inondations les plus importantes ont lieu au mois de mars. En 887 l'hiver est très long et le bétail mal nourri souffre d'épizooties car les récoltes de foin et de fourrage ont été trop maigres. De nouvelles inondations ont lieu en 889, provoquant de nouvelles pénuries alimentaires et à partir de cette année-là, l'état de famine aggravée reste quasi généralisée dans notre région jusqu'en 892. L'hiver rigoureux de 891 n'arrange pas la situation de déficit agricole, le Rhin est figé par les glaces, les semailles gèlent........ on va de nouveau manquer de fourrage pour le bétail.
A peine sorti de cette période de crise alimentaire grave, avec une année 892 dans les normes, que l'hiver 893 est de nouveau très froid avec des cours d'eau gelés et beaucoup de neige, surtout au mois de mars.
En fin de période, les inondations sont moins fréquentes hormis en 896 où c'est une crue du Rhin qui noie sous les eaux une bonne partie des terres agricoles de la plaine d'Alsace.
( dans le prochain numéro de la newsletter : le climat aux alentours de la fin du 1er millénaire )
Jean Sébastien Beck |